Raymond Jaquot, le dernier des toupilleurs
Raymond Jaquot, le dernier des toupilleurs

Raymond Jaquot : portrait du dernier toupilleur lyonnais

Témoignages 1 commentaire

C’est à douze ans que Raymond Jaquot, fils de commerçants, a sa première fascination pour le bois : il visite avec sa famille le musée de Brou à Bourg, lorsqu’il tombe en admiration devant une crédence gothique finement sculptée.

I l le sait, il deviendra sculpteur sur bois. Il entre alors à l’école de l’abbé Boisard à 14 ans et, le premier jour, il se coupe un doigt ! Le métier est dangereux et demande de l’habileté. On est à une époque où l’on ne prend pas en compte les désirs des enfants et il se retrouve orienté vers… l’ébénisterie. Il ne sera pas sculpteur, mais ébéniste. Bien sûr, il utilise la toupie pour ses moulures et s’y montre particulièrement habile.

Son appétit de voir les meubles des grands ébénistes est immense : « Ma déception pendant ma formation est de ne pas être allé au musée. » Il se rend seul au Louvre à 20 ans et il est tellement ému de voir les commodes de Boulle, les pièces de Carlin (son préféré) et de Riesener qu’il se « découvre » devant elles ! Mais elles sont en piteux état : sales, abandonnées, les plus belles marqueteries se décollent ! Il est désespéré. Au musée, il retournera des centaines de fois pour observer, dessiner, mesurer et reproduire.

La perfection, la droiture, tels sont les maîtres-mots de Raymond Jaquot.

En 1943 – il a alors 33 ans –, ses amis le supplient de racheter l’atelier de Brunel, le plus célèbre toupilleur lyonnais, car disent-ils : « Comment faire de beaux meubles s’il n’y a plus de toupilleur ? » Il cède à leur pression et prend possession de son atelier : une collection de plus de 15 000 fers qu’il portera à 25 000, fabriquant lui-même ceux qui sont nécessaires à un travail précis et difficile. Il est capable de réaliser plus de 500 000 moulures différentes.

Raymond Jaquot a le culte de l’amitié et, en l’écoutant, on comprend qu’un beau meuble ou un siège n’atteignent leur perfection qu’avec l’alliance du travail du menuisier ou de l’ébéniste, du toupilleur, du tourneur et du sculpteur. C’est à lui que l’on doit la rampe de l’Hôtel-Dieu, après que celui-ci eût brûlé.

Autour de lui, chaque siège, chaque meuble est une œuvre : copies de meubles de Riesener, de sièges de Carpentier, de Nogaret, de Tilliard. Depuis des dizaines d’années, ils sont là, souvenirs d’un métier et d’amis qui ont aidé à les réaliser ; sa femme prétend que les tiroirs ont toujours admirablement coulissé, tant ils sont parfaits.


La perfection, la droiture, tels sont les maîtres-mots de Raymond Jaquot. Quelques clients peu scrupuleux en ont profité ou n’ont pas su reconnaître la qualité d’un travail ; et aujourd’hui encore, il en est blessé. Les ébénistes lyonnais et les antiquaires qui fréquentaient son atelier ont le souvenir d’un homme austère et exigeant et ils lui accordaient une complète confiance.

Aujourd’hui un peu déphasé, perplexe devant le travail bâclé, le bois mal débité et mal séché, il est une des mémoires de ces artisans d’une autre génération qui pensaient davantage à la perfection qu’à l’argent que pouvait rapporter leur travail.

Les techniques évoluent ; des métiers naissent et disparaissent parfois très vite ; ainsi, celui de toupilleur du bois, à façon. Jusqu’en 1850, les moulures des portes, des fenêtres, des armoires étaient exécutées au rabot ou à la gouge, celles des dossiers de sièges, à l’aide d’un outil plus petit, le tarabiscot. Quelques ingénieurs conçurent alors l’idée d’un tour à l’arbre vertical sur lequel on plaçait un fer à moulures, correspondant à la forme désirée : la toupie.

Apparemment, le travail est simple : on présente le bois à moulurer et, le moteur mis en marche, on laisse glisser le bois. Cependant, en raison de la multiplicité des décors demandés, il fallait un coup d’œil, une culture, une exceptionnelle habileté (la toupie tourne à 6 000 tr/mn).

A partir de 1880, l’usage de la toupie se généralise et des ateliers spécialisés travaillant à façon pour les ébénistes et les antiquaires s’installent. Jusque dans les années 50, ils sont encore six à Lyon. Puis les derniers ateliers d’ébéniste s’équipent de machines, et le métier disparaît. Avec la retraite de Monsieur Jaquot, en 1982, le dernier toupilleur lyonnais cesse ses activités. Le métier aura, à Lyon, duré un siècle…

Cette interview a été réalisée en août 1989, quelques jours avant le décès de Raymond Jaquot. Article réécrit par Jean-Claude Mathieu, MOF 2007 tournage bois. Texte et photos issus du magazine « 1989 : Le Passé en Lumière », La Cité des Antiquaires.

Partager ce contenu

Commentaires

  1. Fourment

    Tres beau sujet, il raconte l histoire de mon metier et les qui se sont tournees .

Laisser un commentaire